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Theo Lawrence : “La modernité comme moteur, ça apporte plus de frustration que de liberté”

© Alysse Gafkjen

Après un premier album Homemade Lemonade sorti en 2018 avec son groupe Theo Lawrence & The Hearts, le musicien revient en solo pour son nouvel album intitulé Sauce Piquante. Rencontre avec celui qui vous fera  autant rêver que taper du pied : un voyage rock, folk et country au cœur de l’Amérique des années 60… 

Tout d’abord, d’où vient la volonté de se détacher de “The Hearts” et de lancer un projet à appellation solo ? 

Avec le groupe, il y a toujours eu cette difficulté à s’identifier clairement. Il portait à moitié mon nom mais il y avait aussi cette volonté de présenter “The Hearts”. C’était parfois difficile de gérer un projet à plusieurs personnes dans lequel tout le monde se retrouve et à mon sens, cela pouvait diluer le discours artistique. Au même moment, j’ai rencontré d’autres musiciens qui collaient parfaitement à la musique que je voulais faire, et le fait d’assumer le leadership du groupe a été une transition naturelle. 

L’enregistrement de ton album Sauce Piquante a eu lieu dans le Sud des États-Unis, en Géorgie, avec Mark Neill, ancien producteur des Black Keys, pourquoi ce choix ? 

Adolescent, je me passionnais déjà pour Mark Neill. Il a produit l’album des Black Keys, Brothers, dont j’étais fan. Il est resté en tête de liste des producteurs actuels avec qui je souhaitais travailler. Au-delà d’être un bon ingénieur du son, Mark Neill a une vision artistique unique et une excellente expertise. Il a cette capacité à imaginer le morceau fini, à apporter des idées autour de cela, et à bousculer nos habitudes de live. C’est aussi quelqu’un avec qui je partage les mêmes références musicales et je savais qu’on serait sur la même longueur d’onde. Je l’ai contacté pour l’enregistrement de cet album et deux mois après on s’est retrouvé dans son studio à Valdosta, petite ville routière déserte de Géorgie. 

© Alysse Gafkjen

Comment décrirais-tu l’évolution de ta musique entre tes deux albums ? 

La musique que j’écoute depuis tout petit c’est la country, la soul et le rock’n’roll des années 50/60. Pendant longtemps, il y a eu cette pression de la part de mon entourage professionnel de moderniser mes goûts. C’est aussi une volonté que j’ai eu à un moment donné. Plus le temps passe, plus je me rends compte que vouloir à tout prix ancrer ma musique dans un contexte moderne me fait perdre en authenticité. Pour moi, la meilleure manière d’être contemporain c’est de faire la musique à ma manière. Aujourd’hui, j’assume beaucoup plus que la musique que j’aime est très traditionnelle et que m’éloigner de cette forme de tradition me frustre. C’est aussi lié au fait de grandir, de développer ses goûts, d’assumer son style et ses choix de manière plus affirmée.

Tu disais vouloir mélanger le style de la Nouvelle-Orléans avec le rhythm and blues et la musique créole, quelles ont été tes inspirations musicales lors de l’écriture de cet album ? 

La musique de cet album est assez loin de la musique de la Nouvelle-Orléans au sens strict mais est liée à de fortes influences louisianaises dans l’écriture, les mélodies, et les textes.  Au moment de l’écriture et de l’enregistrement, on a été fortement inspiré par le “swamp pop”, musique de genre qui existait en Louisiane à la croisée de la country de Nashville, de la musique louisianaise traditionnelle à influence cajun, mais aussi du rock’n’roll qui passait à l’époque. On peut citer des artistes comme Jimmy Newman, Johnnie Allan ou Rod Bernard décédé récemment. À l’époque, ils n’ont pas eu de gros hits à la radio mais ils ont participé à la création d’une scène unique à un moment et à un endroit donné. Il y a aussi une large influence de Doug Sahm, fondateur du groupe Sir Douglas Quintet, au son très distinctif influencé par la musique du Texas à consonance mexicaine. Le morceau In the Back of My Mind, écrit par le guitariste Thibault Ripault ou encore Evangeline sont de parfaits exemples de l’esprit swamp pop. 

Comment concilies-tu ce voyage dans le temps avec le fait d’être un jeune artiste en 2020 ?   

Cette question est assez présente dans mon esprit mais je me rends compte que moins j’y pense, plus je me trouve. Mon intention n’est pas de sonner comme à une certaine époque mais plutôt de sonner comme la musique que j’écoute depuis toujours, ce qui est pour moi un gage de qualité. 

© Alysse Gafkjen

Comment expliques-tu l’influence de la musique cajun sur certains de tes morceaux, notamment le titre Petit cœur

La musique cajun c’est une musique folklorique au sens strict du terme, c’est-à-dire pratiquée par une communauté dans le sud de la Louisiane au début du 20ème siècle. C’est une musique traditionnelle chantée dans un patois louisianais issu d’un héritage francophone. Comme toute musique folklorique, elle a emprunté à d’autres genres tels que le blues, la musique française et irlandaise. Dans cette lignée, on peut citer les Frères Balfa. Dans les années 60, la musique cajun a pris une forme plus contemporaine puisque de jeunes musiciens ont fusionné leur héritage francophone avec les grands tubes rock’n’roll de l’époque. Le titre Petit cœur s’inscrit dans la musique cajun à la manière de ceux qui la jouaient dans les années 60/70. De même, le titre de l’album vient d’un morceau de Jimmy Newman que j’avais gardé dans un coin de ma tête, où il s’exclame “Sauce piquante”.

Parmi ces clins d’œil à la langue française, il y a le titre Baby Let’s Go Down To Bordeaux. Est-ce important pour toi de rappeler d’où tu viens ? 

On a souvent entendu “Let’s go down to New Orleans” ! Dans l’iconographie de la musique américaine, il y a cette tendance à dire où l’on va ou d’où l’on vient. Même si ça sonne bien, je me sentirais moins légitime à le chanter. C’est plus autobiographique de parler de Bordeaux et c’était intéressant de faire sonner ce mot avec le reste du texte. C’est plus une référence à la langue française, un clin d’œil, qu’une revendication patriotique. 

Le clip de Prairie Fire a été tourné en Corée, pourquoi ce changement de décor soudain ? 

Les clips ce n’est pas ce que je préfère faire, ce n’est pas mon meilleur moyen d’expression. Je remets plutôt la tâche à Nevil Bernard qui était claviériste dans le groupe The Hearts et avec qui j’ai déjà tourné quatre clips. On était en tournée en Corée et on avait besoin d’un clip. Il est venu avec nous et il a filmé des images là-bas. Il n’y a pas eu de scénario pré-écrit. Au fur et à mesure du voyage, il sortait sa caméra et me filmait quand il trouvait le moment opportun. 

Si tu devais n’avoir écrit qu’un seul titre de cet album, lequel serait-ce ?

Je choisirais sûrement Prairie Fire. C’est un titre à part qui tient moins de la musique louisianaise parce que je ne l’ai pas forcément écrit avec toutes ces références en tête. C’est un peu un électron libre et c’était aussi un risque que ce soit moins cohérent avec le reste de l’album. Malgré tout, c’est l’un des titres dont je suis le plus fier et dont je garde un bon souvenir d’écriture. Je l’ai écrit assez spontanément, sans trop de souffrance. Il y a aussi un contraste intéressant dans ce morceau que l’on retrouve généralement dans mon univers. C’est une balade assez entraînante accompagnée d’un texte dramatique et triste, où il est question de vengeance. 

Musiciens: Olivier Viscat (basse), Thibault Ripault (guitare), Bastien Cabezon (batterie), Julien Bouyssou (piano et orgue).

Plus d’informations sur le compte Instagram de Theo Lawrence.
Retrouvez toutes ses dates de concert en cliquant sur le lien ci-après : http://www.caramba.fr/artistes/theo-lawrence/

Propos recueillis par Philippine Labrousse

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